jeudi, juin 29, 2006

Monsieur le Ministre,

Mohammed Belmaïzi
défenseur des droits humains
militant pour le dialogue des cultures.

Lettre OuverteAu Ministre M. Bert AnciauxA propos de la maison des cultures Maroco-Flamande.



Par
Mohammed Belmaïzi
Monsieur le Ministre,


La création de la maison des cultures Maroco-Flamande cause d'emblée plus d'embarras et de questionnements - et pour les Belges d'origine marocaine et pour la Belgique - qu'elle n'en suscite d'intérêt et d'ouverture. Vous êtes parti, sans doute aucun, d'une bonne volonté et de grands sentiments pour travailler à l'intérieur de la problématique de l'interculturel en direction d'une minorité culturelle encore et toujours ostracisée, en l'occurrence la communauté marocaine.



Ce credo, que vous défendez avec intensité et calcul, mais sans véritable résolution de nous sortir de l'ornière, est aussi le nôtre. Sans cesse prônons-nous avec nos petits moyens, à travers nos associations diverses et nos contacts officiels ou personnels, la nécessité du dialogue des cultures qui est en effet dans un piteux état, ici et maintenant chez nous en Belgique.



Et à juste titre, ne faut-il pas évoquer ce fossé hermétique entre la production culturelle flamande, francophone et germanophone ? Ne saute-t-il pas à l'esprit, que ces entités culturelles oeuvrent chacune dans sa propre coquille ? A-t-on jamais mené un chantier systématique de traduction des œuvres, par exemple, soutenue par un espace de rencontre - (conférences et colloques communs, émissions audio-visuelles communes, et pourquoi pas l'instauration d'un parlement du dialogue culturel et des langues, ou carrément l'organisation des états généraux de la culture…) - bien visible à la société civile, pour que les détenteurs du pouvoir symbolique, romanciers, poètes, artistes…, puissent exprimer " l'autre " lecture de la réalité dont l'analyse est fort monopolisée par le politique et l'économique ? Et dès lors, saisir fermement le lieu des priorités devient une tâche urgente.



C'est qu'il faut se convaincre que l'instauration, après un dur et ambitieux labeur, des institutions politiques et économiques si complexes mais qui font la fierté et la bonne réputation de notre pays " bicéphale", ne peut vaincre les nombreux écueils qui nous assomment régulièrement, sans une promotion conséquente de la culture. Les limites de l'option pour la seule démarche politico-économique prétendue agir sur le réel, en rejetant sans répits le culturel et l'interculturel, ne se lisent-elles pas dans ce nationalisme exacerbé et ce communautarisme crispé et agressif qui érodent notre société belge ? Les cloisonnements et la méconnaissance mutuelle, ne mènent-ils pas - et on le pressent tous les jours - à la stagnation et à la méfiance politique ? Se convaincre aussi que la montée scandaleuse du Vlaams Belang ou du Front National, n'a été permise que par le déficit culturel et le refus de faire sienne la culture de l'altérité. Et il ne vous suffira plus de geindre, Monsieur le ministre, tout en reconnaissant que "malheureusement, pas seulement un million [de Flamands qui votent pour la mono culture] mais bien plus, malheureusement. Les libéraux ont la philosophie mono culturelle, mais ils l'expriment d'une manière plus raffinée et c'est probablement plus dangereux. Car l'idée du Vlaams Belang est claire, nous savons qu'ils sont de l'extrême droite, mais la frange radicale des libéraux est plus déguisée et donc plus dangereuse" (
entretien wafin.be).



Ce manque de volonté d'un dialogue efficient entre nos diverses communautés devient un véritable " blocus culturel ". Les plus pessimistes vous diront que les tentations xénophobes et totalitaires naissent dans le creuset des cultures qui se complaisent dans le monologue. Détenir une seule culture, une seule langue, à l'époque d'une riche et prometteuse diversité moderne, ne conduit-il pas à une sénescence criante ?



La culture et le dialogue des cultures n'auraient-ils pas vocation à modérer le monopole de l'analyse politico-économique et à contribuer énergiquement à consolider les intérêts d'une Belgique unie, et à souder ses valeurs humanistes ? A coup sûr et s'il en est ainsi, les cultures minoritaires, dont la marocaine, trouveraient sans ambages leurs places dans cette fusion bénéfique ou ce dialogue culturel souhaité.



Tout cela, vous semblez le savoir, mais sans vous donner les moyens adéquats pour redresser la barre ! Vous faites, Monsieur le ministre, comme celui qui cherche sa clé sous le lampadaire et non là où il l'a perdue.



Par ailleurs, la polémique stérile à propos de la maison des cultures Maroco-Flamande, entre vous et la ministre Fadila Laanan, est une preuve lumineuse du " blocus culturel " qui sévit contre l'interculturel et contre la reconnaissance tant attendue des cultures minorisées. Mais le géant et généreux pas que vous opérez envers la communauté marocaine n'est pas tout à fait innocent. Il y a de la tactique et du calcul en l'air. Electoraliste en premier lieu ! Mais lorsque le financement de cette maison de la culture s'impose " en parité égale ", dites-vous, avec l'Etat marocain, à travers Madame Nouzha Chekrouni, Ministre Déléguée chargée de la communauté marocaine résidant à l'étranger, le tour est joué contre le tissu associatif qui, lui, ne dispose pas de moyens !



Ce n'est donc pas seulement une question de culture, Cheval de Troie de l'Etat marocain, en vue d'une maîtrise de l'espace de l'expression ici en Belgique, pour écraser la culture démocratique contestataire et critique au sein de " l'immigration " marocaine qui ne cesse de revendiquer l'instauration d'un véritable Etat de Droit au Maroc. A travers les Amicalistes qui, après avoir terrorisé la communauté marocaine sous le règne de Hassan II, se font une virginité et une jeunesse actuellement, c'est la culture de la soumission et du mercantilisme qui se dissimule derrière ce projet de la maison des cultures Maroco-Flamande. Ce projet machiavélique de vassaliser la communauté marocaine dans un statut tutélaire, par l'Etat marocain, est plus qu'attentatoire.



Des opportunistes ou Amicalistes peuvent à leur aise exploiter ce débat pour écraser toute opposition à la maison des cultures Maroco-Flamande, au nom de toutes les valeurs précitées plus haut, mais pour s'assurer les dividendes : s'octroyer des privilèges et faire partie des gestionnaires de cette maison. La culture du népotisme, clientélisme, marchandage, vente et achat des consciences, qui a perduré voici quatre décennies, est et restera toujours à l'œuvre dans cette prestigieuse maison des cultures Maroco-Flamande - sans une authentique refonte de la culture au Maroc.



A ce sujet, il nous suffit de remonter le passé pour affirmer que la culture vive a été non seulement le parent pauvre de la politique de l'Etat marocain, mais elle a toujours été combattue par lui. L'éclosion d'une nouvelle culture, depuis les années soixante, qui peine à se réaliser, a été réprimée dans le sang (emprisonnement massive d'intellectuels, torture, assassinats des acteurs de la société civile, disparitions… impunité durant quatre décennies). Rien n'a été réellement fait pour instaurer une culture novatrice à tous les échelons (émancipation, liberté, créativité, Etat de droit ...). Et ce n'est pas un hasard si l'un des témoins privilégiés, et l'un des acteurs d'une culture fondatrice au Maroc, intitule l'un de ses articles "Tel un champ de déshérence, la culture !", où il écrit très récemment :



"Pour moi ce constat amer a valeur de cri d'alarme. Et pour une fois je ne vais pas incriminer exclusivement nos gouvernants, qui portent à l'évidence une lourde responsabilité dans l'enlisement actuel. C'est qu'ils traînent derrière eux le boulet d'un héritage où l'élan de la pensée et de la création libres, perçues comme subversives, s'est heurté en permanence à l'hostilité déclarée, au mépris et à la volonté d'encerclement de la part d'un pouvoir hanté par l'asservissement des consciences". (
www.laabi.net)



Et dès lors de quel projet culturel parlerons-nous, Monsieur le ministre ? L'Etat marocain ne doit-il pas instaurer au préalable une politique culturelle digne de ce nom, pour pouvoir prétendre venir investir l'espace ici à Bruxelles ou en Europe ?



Et ne devriez-vous pas, Monsieur le ministre, poser des clausules drastiques, à défaut d'ignorer la main mise de la tradition féodale sur la culture au Maroc, et non l'enfoncer dans l'image fausse qu'il se fait de lui-même et qu'il se plaît à donner à voir à travers le mirage d'une vitrine ? Soyez convaincu, Monsieur le ministre, que ce qui se passera dans cette maison des cultures Maroco-Flamande, du côté marocain, n'aidera nullement ce pays à décoller !
Mohammed Belmaïzidéfenseur des droits humainsmilitant pour le dialogue des cultures.
Publié aussi dans le Journal du Mardi de cette semaine.

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